SAVOIR-FAIRE / LA VINIFICATION

Les étapes capitales de l’élevage et de l’assemblage pour l’élaboration d’un grand vin

Le commencement

Le travail au Chai commence à partir des Vendanges, à la sortie des tables de tri où les graines de raisin éventrées par le fouloir sont placées dans des cuvons de 450 kg puis transportées jusqu’à leur cuve de destination, laquelle a été choisie en fonction du tonnage de la parcelle vendangée. Chaque cuve est remplie aux trois quarts par gravité, sans pompage. Le jus et la pellicule du raisin entrent en contact : le processus de vinification peut alors débuter. La fermentation alcoolique est déclenchée dès le deuxième jour sous l’action des levures. Le dégagement de CO2 ainsi provoqué pousse les peaux vers le haut de la cuve : un chapeau de marc apparaît à l’issue de douze heures de fermentation. Trois fois par jour, une partie du jus translucide est pompée en bas de la cuve puis remontée afin de percoler sur le chapeau de marc. Ce remontage est réalisé avec douceur et délicatesse afin de préserver des tanins de qualité. L’opération se déroule manuellement : un technicien prend soin d’orienter le jet pour bien arroser l’ensemble du chapeau de marc. La fréquence de cette opération diminue au fil des jours. Elle est interrompue lorsqu’est atteinte la densité souhaitée du jus ; celle-ci est mesurée deux fois par jour à l’aide d’un aéromètre. Les autres paramètres sont pilotés à la dégustation par l’équipe technique et le maître de chai qui prélèvent chaque matin un échantillon sur l’ensemble des cuves.

Le jus est alors laissé au contact du marc durant quelques jours, sans manipulation ; il baigne, dans les cuves thermo-régulées, à une température de 28 à 30 °. Cette phase post-fermentaire aide la structure tannique à s’assouplir, à devenir plus soyeuse ; le jus s’affine, s’enrobe. Ce jus de goutte est alors placé dans une autre cuve, tandis que le marc est pressé. Les différents lots de vin de presse (lequel représente 10 % de l’ensemble) sont mis en barrique pour accélérer leur clarification ; une sélection définira plus tard les meilleurs lots qui peuvent entrer dans l’assemblage du second vin du château. Afin de préserver l’identité aromatique de chaque parcelle, la fermentation malolactique est réalisée en cuve, à une température de 20 °. Cette opération, qui permet d’adoucir la sensation d’acidité et de stabiliser le vin, peut se dérouler sur trois semaines ou sur plusieurs mois. A l’issue de cette fermentation, du soufre est ajouté afin d’assainir le milieu et d’éviter toute oxydation. Seul le strict minimum d’intrants est utilisé par le Château durant la vinification ; celle-ci doit en effet demeurer la plus épurée possible.

Deux fois par an, l’équipe technique du Château organise une dégustation à l’aveugle durant laquelle les tonneliers notent les fûts dégustés afin de toujours tendre vers la plus grande précision aromatique

A la fin de l’automne, à l’issue de la vinification, le vin va séjourner entre seize et dix-huit mois au sous-sol du chai, dans cette vaste salle baignant dans une lumière tamisée, constamment maintenue à 14 °, et où s’alignent les longues rangées de barriques. Chaque millésime est ainsi réparti en élevage dans 300 à 450 fûts.

Toutes ces barriques sont numérotées et remplacées chaque année. Elles sont exclusivement réalisées à partir de chênes français âgés de 180, 200, voire 350 ans, originaires de forêts mondialement réputées : Tronçais, dans l’Allier, ou bien Bercé, dans la Sarthe. Seules les parties les plus qualitatives de ces arbres ont été sélectionnées par les tonneliers pour la confection de ces barriques ; leur bois a été fendu, mais jamais scié afin de préserver leur qualité exceptionnelle.

Château Cheval Blanc a recours à six, parfois sept tonnelleries différentes, lesquelles sont régulièrement mises en concurrence. Cette diversité permet d’éviter que le vin pâtisse d’un arôme boisé dominant ; elle permet en outre de jouer sur le choix des bois ainsi que sur la chauffe. Chaque barrique doit aider le vin à s’épanouir, tout en respectant sa structure tannique ; elle ne doit pas masquer son arôme, mais l’accompagner.
Deux fois par an, l’équipe technique du Château organise une dégustation à l’aveugle durant laquelle les tonneliers notent les fûts dégustés afin de toujours tendre vers la plus grande précision aromatique. Ces rencontres permettent d’apprécier et d’évaluer les fûts, de tester leur homogénéité, mais aussi d’affiner les exigences de Cheval Blanc auprès de ses fournisseurs.

Durant le soutirage, 210 litres sur les 225 contenus par chaque barrique sont transférés dans la barrique voisine à l’aide d’un gaz inerte (l’azote) qui permet de pousser le vin hors de la barrique en évitant toute oxydation. Ni filtre ni pompe ne sont utilisés au cours de ce transfert de fût à fût, afin de ne pas perturber l’équilibre du vin. Un trépied appelé chèvre permet d’incliner la barrique durant la dernière phase du soutirage. En cette fin de processus, la limpidité du vin est vérifiée à l’œil : un échantillon est placé dans un verre, éclairé par une lampe, et examiné par le technicien ; lui seul, en fonction du degré de limpidité constaté, décide d’interrompre ou non le soutirage.

Ce n’est qu’après trois mois d’élevage, à la fin de l’hiver et avant les dégustations en primeur, au moment de l’assemblage, que les productions issues de différentes parcelles vont pour la première fois se rencontrer. Le moment de l’assemblage représente bien davantage qu’une simple étape dans le long processus qui mène à la naissance du millésime. Il s’agit, pour l’équipe technique du Château, de composer une nouvelle page de l’histoire de Cheval Blanc. L’objectif n’est pas de reproduire le même vin chaque année, mais de créer le plus beau Cheval Blanc en respectant à la fois la personnalité unique du millésime et le style de Cheval Blanc : fraîcheur, élégance, finesse, longueur, équilibre. L’équipe chargée de cette difficile mission doit parvenir à mettre en valeur les vertus des vendanges de l’année écoulée afin de créer le meilleur et le plus pertinent assemblage possible. Chaque millésime incarne ainsi une nouvelle interprétation du terroir de Cheval Blanc.
Lors de l’assemblage, l’équipe déguste le vin offert par chaque barrique ; elle goûte la personnalité des parcelles qui s’est exprimée dans chaque fût. Toute la complexité du terroir de Cheval Blanc se révèle à cet instant, de même que la parfaite complémentarité du Cabernet franc et du Merlot. De quinze à trente-cinq parcelles, sur un ensemble de quarante-cinq, participe, chaque année, à l’élaboration du grand vin. Le choix des parcelles constituant le millésime n’est gouverné par aucune règle en dehors de cette minutieuse dégustation. De même, aucune proportion entre Cabernet franc et Merlot n’est préétablie. Enfin, aucun objectif en termes de production n’est fixé : seule l’excellence prime et décide.

Véritable travail d’orfèvre, l’assemblage représente dans la vie du Château une époque particulièrement dense, intense, marquée par l’inspiration et la concentration, mais aussi par le doute et l’incertitude. Chaque membre de l’équipe garde à l’esprit les exactes proportions des assemblages des années passées, fussent-elles éloignées. Et chacun sait que l’assemblage s’avère si précis qu’il peut basculer à un fût près.
Après un court moment d’alchimie, durant lequel les parcelles sélectionnées se marient dans une cuve en inox de 220 hectolitres, le vin ainsi assemblé redescend dans le chai à barriques. Il y reposera un an, dans ce clair-obscur ventilé naturellement par le moucharabieh.

La précision du geste, le facteur fondamental

L’élevage a débuté fin novembre ou courant décembre. Quelques semaines plus tard, en janvier ou février, intervient le premier soutirage : cette délicate opération permet de clarifier le vin en le séparant des lies, ces dépôts formés par décantation. Le Château vise en effet une épuration rapide afin d’obtenir un jus clair, à l’abri de ces lies qui sont trop concentrés en matières grossières. Cette opération va se renouveler tous les trois mois ; chaque millésime connaîtra ainsi, durant son élevage, cinq à sept soutirages. A Cheval Blanc, le vin est soutiré manuellement, à l’esquive, afin d’offrir une clarification parfaite et d’éviter toute exposition à l’air. Pratique ancestrale, le soutirage à l’esquive exige un savoir-faire particulièrement pointu, devenu extrêmement rare. Le maintien de cette tradition dans le processus œnologique réaffirme l’attachement du Château à une valeur simple mais fondamentale : la précision du geste.

L’assemblage représente dans la vie du Château une époque particulièrement dense, intense, marquée par l’inspiration et la concentration, mais aussi par le doute et l’incertitude